L’anguille européenne Anguilla anguilla est qualifiée de poisson catadrome: elle descend en mer pour se reproduire. La reproduction des anguilles se fait en mer dans une zone qui serait positionnée dans la mer des Sargasses ou à proximité.
Les larves produites sont appelées larves leptocéphales et sont entrainées par le Gulf Stream vers l’Est de l’Atlantique Nord et sont distribuées par différents courants vers les zones côtières situées entre la Mauritanie et le Nord des côtes norvégiennes. Sur le plateau continental à l’approche des continents africains et européens, la larve en forme de feuille se transforme en un petit poisson à la section cylindrique et transparent que l’on appelle civelle ou pibale dans le Sud-Ouest. Les anglo-saxons la dénomment « glass-eel » ou anguille de verre car les principaux organes vitaux de ce petit poisson sont vus par transparence.
La civelle colonise ensuite les littoraux, les estuaires, les baies et lagunes. Progressivement elle se pigmente et cherche petit à petit à se plaquer contre le sédiment au lieu de nager en pleine eau comme elle le faisait précédemment. Elle se transforme ainsi en anguillette qui constitue le stade de diffusion de l’espèce en eau douce, en milieux saumâtres ou salés caractérisant les ruisseaux, rivières, étangs ou lacs, estuaires, baies et lagunes. La période de grossissement peut durer de 5 à 25 ans suivant la vitesse de croissance : plus lente dans le nord de l’aire de répartition ou suivant le sexe de l’anguille : les mâles sont plus précoces sexuellement que les femelles. A la fin de cette période de croissance, l’anguille jaune , un jour d’automne, se transformera en une anguille argentée pour migrer en mer à la première crue et assurer ainsi la pérennité de l’espèce.
L’anguille européenne (Anguilla anguilla) est une espèce robuste qui fréquente des milieux aquatiques très diversifiés : mers côtières (comme la mer Baltique), baies et pertuis (comme le Pertuis Charentais), bassins côtiers (comme le bassin d’Arcachon), lagunes méditerranéennes (comme l’étang de Gruissan ou de Thau), estuaires de fleuves et de rivières côtières (Adour, Gironde, Loire,…), parties moyennes des fleuves, rivières et de lacs (lac de Grand-lieu par exemple).
Si tout le monde s’accorde à dire que cette espèce a fortement diminué dans de nombreux environnements, il est exagéré de prétendre, vu la dispersion de cette espèce, son étonnante plasticité qu’elle est en voie d’extinction.
Les observations actuelles sont bien insuffisantes pour affirmer cela et ne concernent que certains milieux accessibles aux outils des scientifiques (pêche électrique par exemple). Les suivis à long terme sur une large échelle ne portent que sur l’abondance des civelles ou anguillettes qui remontent les estuaires. Ces informations se sont fortement dégradées depuis 20 ans par manque de moyens accordés à l’évaluation de cette espèce. Peu d’observations et d’investigations sont faites dans des milieux dont la profondeur excède le mètre. L’abondance dans les zones côtières, les estuaires, les lacs est fort peu connue alors que l’on sait que ces milieux peuvent abriter de fortes populations d’anguille.
Ce que l’on sait par contre c’est que l’habitat colonisable par cette espèce en Europe s’est fortement amenuisé par suite de l’acharnement de nos sociétés à artificialiser de plus en plus d’espaces naturels: zones humides considérées comme milieux naturels de second ordre à urbaniser ou à cultiver ; endiguement des estuaires ou des rivières pour se prémunir de la montée des eaux ; entraves à la continuité écologique par l’édification de barrages de plus en plus nombreux et de plus en plus hauts avec comme cerise sur le gâteau l’explosion d’espèces comme le silure qui s’accommode d’eaux de plus en plus chaudes et de plus en plus stagnantes.
Oui ce dont nous sommes sûrs, c’est bien que les surfaces disponibles et accessibles pour l’anguille se sont réduites et bien évidemment la taille de la population, mais ce qui ne signifie nullement que l’espèce est en voie de disparition, excuse bien commode pour demander » la mort du pêcheur ». Remède bien facile, mais qui relève plus de la potion magique que d’une réflexion concertée entre acteurs impliqués.
La seule solution, et il y en a pas d’autres, est de reconquérir les habitats qui peuvent l’être encore : réhabilitation des marais salés, reconnexion des zones humides (barthes , boires) avec les axes fluviaux, facilitation des franchissements d’obstacles par passes migratoires et/ou transfert de populations, transfert de populations vers des zones sous-utilisées (base du repeuplement en Europe),…
En moins de 20 ans, (2005 à 2020), le nombre de pêcheurs professionnels d’anguille a presque diminué de moitié. De nombreux bassins versants ne sont pratiquement plus exploités, non pas parce qu’il n’ y a plus de poissons, mais suite à des contraintes administratives de plus en plus fortes qui découragent beaucoup de jeunes à s’engager dans ce métier. Pour l’anguille, à ces contraintes administratives, s’ajoutent la pression des instances de la pêche de loisir et de certaines ONGs qui voient dans la petite pêche continentale et estuarienne la source de tous les maux.
Pourtant, les quelques observations effectuées par les scientifiques sur les taux d’exploitation exercés sur les différents stades biologiques de l’espèce: civelle, anguille jaune ou anguille argentée montrent que la pêche n’est pas le facteur de mortalité principal qui s’exerce sur l’espèce.
Un bassin hydrographique résume parfaitement ces propos, c’est le bassin du Rhône sur lequel la pêche professionnelle de l’anguille est quasiment inexistante depuis son interdiction de la commercialiser en 2009 (pollution importante des sédiments du fleuve par les PCBs). La pêche de la civelle, quant à elle, a toujours été interdite en Méditerranée. Ainsi depuis près de 15 ans au moins l’exploitation professionnelle de l’espèce est quasi inexistante sur ce bassin et d’après les services de l’Etat, la population d’anguille ne se reconstitue pas. Il est vrai que peu de choses ont été faites sur ce bassin pour améliorer les continuités écologiques et accroître la taille de l’habitat colonisable malgré les demandes incessantes de la pêche professionnelle fluviale qui n’a d’ailleurs pas voulu signer le PLAGEPOMI (Plan de Gestion des Poissons Migrateurs), le jugeant insuffisamment ambitieux.
Beaucoup d’ONGs et de structures associatives de la pêche de loisir vitupèrent contre le massacre de la civelle dans les parties basses des fleuves sur la façade atlantique. Comme d’habitude leurs dires ne sont pas étayés malgré les informations scientifiques existant en ce domaine.
Le programme européen INDICANG (indicateurs de colonisation de l’anguille européenne dans la partie centrale de son aire de répartition) auquel les structures professionnelles de la pêche ont participé à montrer que dans de grands estuaires comme l’Adour ou La Loire, le taux d’exploitation de
la civelle est compris suivant les saisons (1999 – 2005) entre 2 et 19%. Le groupe d’experts indépendants chargé d’établir le niveau du quota saisonnier de civelles à capturer a montré que globalement le taux d’exploitation avait diminué par rapport à la période de référence (2004 – 2008). Si l’on prend en compte, comme il se doit, uniquement la consommation, la diminution est de l’ordre de 2, ce qui veut dire que globalement sur la façade atlantique on devrait être proche du niveau de 10% pour ce qui concerne le taux d’exploitation des civelles. Cette valeur est à comparer à la mortalité naturelle à ce stade entre 80 et 90%. Concrètement cela veut dire que l’impact de la pêche de la civelle sur la mortalité des jeunes anguillettes est au maximum de l’ordre de 2% ce qui est bien inférieur aux impacts des barrages qui bloquent la migration et de la mortalité engendrée par la production d’hydroélectricité par exemple.
La pêche professionnelle n’est pas une activité destructrice. L’analyse des plans de gestion anguille nationaux par l’Union Européenne a montré qu’elle avait atteint les objectifs qui lui avaient été assignés en matière de réduction de son empreinte écologique . Ceux qui consomment de l’anguille ne doivent pas se sentir coupables de soutenir cette filière en Europe qui contribue plus que toute autre à la protection des milieux aquatiques par ses activités de veille environnementale et de repeuplement.