Il y a de quoi désespérer de l’Europe et de sa gouvernance pour ce qui concerne la gestion de l’anguille et de ses habitats

Un petit rappel

En novembre 2023, le rapport dit « Van Ruyssen » faisait l’état d’avancement et le bilan des plans de gestion de l’anguille en Europe. Approuvé par le Parlement Européen, il établissait clairement que le secteur de la pêche professionnelle avait atteint les objectifs de réduction de son impact sur l’espèce conformément aux objectifs assignés par le règlement UE 1100/2007, mais pas les autres usages.  Il était temps d’arrêter de contraindre ce secteur. Un mois après, en décembre 2023, les services de la Commission Européenne durcissaient leur position et demandaient des contraintes très fortes sur les temps de pêche durant la période de remontée principale. La Commission Européenne avait, dans l’ombre, préparé son offensive contre la pêche dès février 2021 en modifiant le questionnement sur la gestion de cette espèce qu’elle posait annuellement au CIEM. On passait ainsi d’une approche globale permettant de passer en revue l’ensemble des facteurs de pression dont la pêche, à une approche classique du CIEM: approche sectorielle sur l’effet de la pêche. Ne pouvant évaluer cette population, faute d’observations disponibles, le groupe de travail anguille du CIEM préconisait, dans le doute, la mise en œuvre de « l’Approche de Précaution » au vu de la seule tendance globale dont il disposait. Celle-ci était matérialisée par un indicateur relatif de la tendance du recrutement dans deux zones: « NorthSea » (Mer du Nord) et « ElseWhere » (Autres zones), cette dernière mélangeant les séries de données venant de Méditerranée et du golfe de Gascogne. 

Depuis, l’avis reste le même et la Commission Européenne campe sur ses positions sans avoir effectué une analyse sérieuse de la situation.  Ce qui arrange beaucoup d’ONGs dont le seul objectif est d’éradiquer des eaux continentales, estuariennes voire littorales des petites entreprises de pêche qui sont indispensables à l’économie de nos territoires ruraux et maritimes. 

Un acharnement de la Commission Européenne qui tient plus de la technocratie que de la démocratie et qui finalement nuit à l'image de l'Europe

Le positionnement de la Commission Européenne est incompréhensible sur ce dossier. Il est évident que la seule courbe sur laquelle se fonde sa position à l’encontre de l’avis du Parlement Européen (voir Rapport Van Ruyssen) est une courbe de tendance du recrutement qui ne repose maintenant plus sur rien !

En effet, la construction de cet indicateur dit « ElseWhere » n’utilise plus depuis 2008, les données des principales pêcheries françaises (la France est actuellement le seul producteur de civelles en Europe) alors que ces données sont compilées de  manière précise. Les séries historiques que l’AFPMAR a montré lors de précédentes actualités aboutissent clairement à considérer que, ces dernières années, la tendance du recrutement prise en compte par le CIEM et donc par la  Commission Européenne est totalement différente des observations effectuées sur le terrain par les pêcheurs professionnels français. Pire, le CIEM dans son dernier rapport (Volume 6, Issue 90, Annex 8, page 77) indique clairement que: « Unsurprisingly, the longest time series have the largest influence on the model results (e.g. AlbuG or EbroG)« , (sans surprise, les séries de données les plus longues ont la plus grande influence sur les résultats du modèle). Mais les séries dont il est question:  lagune d’Albufera et rivière Ebre sont en Méditerranée et ne peuvent être utilisées comme référence pour illustrer ce qui se passe dans le golfe de Gascogne !

Ce qui nous importe ce n’est pas de savoir si la population d’anguille européenne a décliné, tout le monde le sait bien et les pêcheurs professionnels ont été les premiers à tirer la sonnette d’alarme, mais c’est de savoir si la courbe de tendance du recrutement sur laquelle la Commission Européenne s’appuie pour éradiquer la pêche est susceptible de réagir à un signal d’accroissement du recrutement dans le golfe de Gascogne. La réponse est évidemment NON puisque les données de la pêche française ne sont plus utilisées depuis 2008, période où cet accroissement ne pouvait encore se manifester suite à la mise en œuvre des plans de gestion anguilles en 2009

La Commission Européenne le sait bien, mais a choisi la solution de facilité laissant encore plus le champ libre aux destructeurs de nos environnements et son bilan environnemental est maintenant caractérisé par l’atteinte des objectifs des directives cadres constamment repoussée. 

Une administration de tutelle qui ne semble pas vouloir bouger.

Devant cet oukase administratif de la Commission Européenne, contraire à l’avis du Parlement Européen, notre administration de tutelle essaye d’atténuer les coups portés au secteur de la pêche. A terme, c’est la fin du secteur pêche, mais c’est peut-être ce qu’ils veulent.

On ne peut, en effet, cautionner des expertises européennes et nationales qui n’utilisent pas les meilleures données disponibles. Ceci nous le répétons est contraire au Principe de Prévention.

On ne peut admettre également que le devenir d’une civelle de repeuplement soit considéré comme identique à celui d’une civelle de consommation alors que les travaux menés par les professionnels et les scientifiques en France comme en Europe montrent que cela n’est pas vrai.

On peut pas ignorer enfin les efforts effectués par le secteur de la  pêche  civelière en France pour ce qui concerne l’atténuation de la mortalité par pêche qui selon l’avis du Comité Scientifique chargé de la mise en place  des quotas rend ceux-ci non utiles dès que la diminution du nombre de pêcheurs est supérieure à 56%, ce qui est le cas depuis 2019 !

Enfin, l’inertie ou le refus de demander à la Commission Européenne qu’elle applique l’article 7 du règlement européen sur la modification de la clé de répartition consommation/repeuplement est inexplicable.  Comme le refus de demander un sous-quota d’export hors UE afin de valoriser mieux la civelle de consommation dans un cadre « pêcheur moins et valoriser mieux ». La CITES ne l’interdit nullement pour une espèce classée à l’annexe II. 

Il faut en effet redire à toutes ces ONGs bien pensantes que la civelle française n’est pas vendue au prix de 6000 euros le kg, mais à un prix qui dépend d’un marché très restreint et peu concurrentiel et dominé par le secteur de l’élevage en Europe. Non le prix accordé aux pêcheurs est 20 fois moindre que celui que des gens mal informés ou mal intentionnés colportent sur les réseaux sociaux. 

Pour que cette petite pêche artisanale et locale ne soit pas à l’avenir une activité uniquement racontée aux touristes  dans les éco-musées, mais une activité qui continue à contribuer à l’économie de nos ressources territoriales maritimes et rurales, nous demandons que la vérité soit faite sur l’anguille en prenant en compte réellement tous les savoirs et toutes les observations récoltées. Qu’une approche partenariale soit mise en place avec les premiers concernés: les pêcheurs professionnels. 

Rappelons ce que nous disait Albert Lataillade (Président de Lous Dou Gabe e de l’Adou) : « On sait que le développement économique et social pour être durable, ne peut se dissocier du développement culturel. Nous devons donc mieux instruire, éduquer les jeunes et les moins jeunes, surtout en notre période de mondialisation accélérée, et leur montrer la richesse de notre identité ancienne. Certes sans avoir « la nostalgie des lampes à huile », mais en préservant la valeur de certaines de nos traditions: le respect de la Nature étaient de celles-là. »

Il parlait de ces communautés rurales et maritimes dont nombre de jeunes et de moins jeunes pêcheurs sont les descendants et héritiers.