En matière de gestion, il est temps d’arrêter de véhiculer de fausses informations.

Les pêcheurs de loisir sont en colère après l'interdiction de la pêche de loisir sur l'anguille

Colère que l’on peut comprendre car l’interdiction n’est nullement justifiée par ceux qui l’ont imposée, mais il faut quand même signaler que la pêche de loisir n’a pas fait beaucoup d’efforts pour déclarer le montant de ses prises . Elles ont été pourtant de nombreuses fois demandées par l’administration de tutelle et par les représentants de leurs  fédérations de pêche . Si bien qu’il est impossible de donner même un ordre de grandeur à l’importance des prélèvements dans les rapports qui sont envoyés à la Commission Européenne pour attester du bien-fondé des efforts de la pêche de loisir en ce qui concerne la diminution de leurs prélèvements.  Il n’est donc pas étonnant que ceux qui gèrent cette ressource prennent des mesures de précaution qui vont au-delà d’un risque que l’on ne peut évaluer avec certitude (Principe de Précaution). Ce n’est pas le cas des pêcheurs professionnels qui déclarent avec précision leurs captures et participent de ce fait activement à la gestion quantitative de cette ressource. 

Une colère qui ne justifie pas les approximations ni les allégations

Tout d’abord, la pêche de la civelle ne relève pas du pillage organisé , ni du trafic illégal. 

Certes, elle est souvent présentée par certaines structures sous cet angle et nous le déplorons. La pêche de la civelle est une des activités  les plus encadrées au sein de la gestion des pêches communautaires: licences, quotas, périodes de pêche très restreintes, charte  de bonnes pratiques,… C’est aussi l’une des plus surveillées dans l’hexagone ce qui permet d’avoir une forte traçabilité à la fois sur la civelle de consommation et sur la civelle de repeuplement. 

Qu’il y ait du dérapage, personne ne le conteste et certainement pas les organisations professionnelles qui sont les premières à les condamner quand cela est prouvé. 

Arrêtons aussi d’utiliser des chiffres qui ne veulent rien dire dans l’absolu.

Prélever chaque année 175 millions d’individus ne veut rien dire dans l’absolu. Ce qui compte c’est ce qu’on laisse passer. Les travaux récents financés par l’Europe et les observations effectuées par les experts accrédités au sein du CIEM et du Comité scientifique en charge de la définition des quotas permettent d’estimer que le taux de prélèvement n’est pas supérieur à 10%. C’est à dire que si le prélèvement est estimé à 175 millions de civelles, il en ait passé 1575 millions.

Malheureusement à ce stade, les experts estiment (et ceux du CIEM aussi) que la mortalité des civelles avant leur prise de territoire au stade de pré-anguillette est de 90%. Ce qui est commun pour de nombreuses espèces de poissons à ce stade juvénile. Dans ces conditions, et en comparant les situations avec ou sans pêche de civelles et  pour un quota de consommation de 25 tonnes, la perte serait pour le stock d’anguilles jaunes et argentées à l’échelle de l’Europe de 75 tonnes soit environ 3% de la capture totale déclarée en tant qu’anguilles jaunes et argentées en Europe (sans compter les prises de la pêche de loisir qui ne sont pas déclarées). Alors arrêtons de parler de pillage ! Non l’arrêt de la pêche de la civelle ne résoudra pas le problème de la restauration de l’anguille en France ni en Europe et les personnes informées et de bonne foi le savent bien !

Un peu de rappels de biologie avant de préconiser l’arrêt de la pêche des juvéniles!

Que cela soit au stade civelle, comme au stade anguille jaune ou anguille argentée, l’anguille ne s’est pas encore reproduite. Sur ce point, il n’est pas justifié de dire qu’une taille légale s’impose pour l’anguille puisqu’elle ne se reproduira en mer qu’après sa migration de dévalaison. La différence entre ces stades est leur mortalité naturelle: très forte au stade civelle donc avec une probabilité faible de donner une anguille, moins forte au stade anguille jaune et encore moins au stade anguille argentée qu’il faudrait sans aucun doute préserver si nécessaire. Il n’est donc pas illogique au plan biologique de pêcher de la civelle du moment que le taux de mortalité par pêche soit très nettement inférieur au taux de mortalité naturelle, ce qui est le cas actuellement!

Un peu d’histoire ne ferait pas de mal non plus!

« Dans le milieu des années 2000, les pêcheurs amateurs ont fait contre mauvaise fortune bon cœur: ils ont volontairement arrêté de pêcher la civelle au vue de la dégringolade des stocks!  » dites-vous . C’est quand même déformer un peu l’histoire, car dans les années 2000 (et même dans les années 90s), nombre de soi-disant pêcheurs amateurs,  vu le prix de la civelle qui dépassait largement le prix actuel compte-tenu de l’accès au marché asiatique, se faisaient quand même pas mal d’argent au noir à un tel point que cela perturbait le marché officiel. 

Non les pêcheurs de loisir ne sont pas les seuls à préserver les stocks!

Les pêcheurs professionnels travaillent au sein des COGEPOMIs à la gestion des populations aquatiques et à la restauration des milieux aquatiques. Ils ont d’ailleurs bien du mal à le faire tant les intérêts de ceux qui vivent ou jouissent des productions halieutiques ont du mal à se faire entendre vis à vis des intérêts de l’agriculture et de la production d’énergie. Les pêcheurs de loisir ne sont donc pas  les seuls dans ce combat. En outre, les installations effectuées pour améliorer la continuité écologique sont faites avec de l’argent public et non avec l’argent des pêcheurs aux lignes. Chaque citoyen paye qu’il pêche ou non. 

Dans ce cadre, les pêcheurs professionnels travaillent également en liaison avec les scientifiques à l’étude des populations de grands migrateurs :saumons, esturgeons, aloses, lamproies marines, anguilles et apportent leurs expertises et leurs savoir-faire. Ils assurent également au même titre que les pêcheurs de loisir, la veille environnementale nécessaire à alerter les pouvoirs publics sur l’état des écosystèmes qu’ils fréquentent de manière journalière . 

Alors au lieu de taper comme d’habitude sur les pêcheurs professionnels qui n’ont pas  demandé à ce que la pêche de loisir soit bridée, les pêcheurs de loisir feraient mieux de s’allier avec les pêcheurs professionnels pour éviter la destruction et le pillage des habitats des espèces de poissons migrateurs. Ce serait bien plus efficace.