Les observations et informations récoltées par nos adhérents sur le terrain et dans les ateliers de mareyage montrent de manière indéniable que l’augmentation de l’abondance des civelles dans nos estuaires s’est confirmée cette année.
Il est vrai que les modifications réglementaires très nombreuses définies, sans concertation, par la Commission Européenne et les contraintes multiples imposées au secteur de la pêche rendent plus difficiles l’analyse des tendances à long terme. Cependant, l’ensemble des observations qualitatives et quantitatives convergent pour indiquer que l’abondance actuelle des civelles dans les estuaires français qui se jettent dans le golfe de Gascogne est à un niveau non seulement bien supérieur à ce qui a été observé « au creux de la vague » c’est à dire de 2000 à 2011, mais, si l’on se réfère tout au moins aux captures par sortie, est comparable à ce que l’on recensait dans les années 90s dans divers estuaires français.

Le graphique ci-dessus est établi à partir des fiches de pêche délivrées par les marins pêcheurs dans l’estuaire de l’Adour depuis de très nombreuses années. Celles-ci ont été analysées par IFREMER, puis par le CIDPEM64-40 en concertation avec les pêcheurs professionnels. C’est une base de données précieuse qui, indéniablement, peut servir de référence pour l’évolution de l’abondance des remontées de civelles au moins dans le Sud du golfe de Gascogne.
Au vu de ce graphique, différentes observations peuvent être faites. Globalement, plusieurs périodes peuvent être distinguées:
- zone de couleur bleu signale les captures par sortie (CPUE) effectuées dans les années 90s. La moyenne des CPUEs est proche de 3 kg par sortie pour le tamis poussé (2,9 kg), autorisé en 1995 avec deux engins par bateau. Pour le tamis à main, pratiqué avec un seul engin, la CPUE est proche de 2kg (1,91 kg) .
- en zone de couleur rouge, une période de remontées de civelles très faible est observée des saisons de pêche 2001 à 2011. L’utilisation du tamis poussé permet d’obtenir un seul kg par sortie (1,03 kg) en moyenne durant les saisons de pêche. Avec le tamis à main les CPUEs saisonnières sont en moyenne très faibles: 0,69 kg par sortie durant cette période.
- A partir de 2012, les restrictions imposées par le règlement UE 1100/2007: diminution d’au moins 50% de l’effort de pêche, commencent à se faire sentir. Il est possible que d’autres facteurs aient pu intervenir, notamment sur les migrations des leptocéphales lors de leurs migrations transatlantiques, mais ce qui est sûr, c’est que la pêche est le seul facteur anthropique à avoir atteint les objectifs assignés par le règlement UE 1100/2007. Que ce soit pour la continuité écologique, la qualité des milieux ou la reconquête des habitats encore potentiellement disponibles, les efforts n’ont pas été à la hauteur des objectifs fixés par le règlement. La période récente allant de 2012 à 2025 est caractérisée par des CPUEs saisonnières plus que doublées, en moyenne, pour le tamis poussé (2,22 kg) comme pour le tamis à main (1,73 kg) par rapport à la période précédente. Pour le tamis à main, la moyenne saisonnière est proche de celle que l’on observait dans les années 90s.
Au sein des différentes périodes définies précédemment, on observe de fortes fluctuations des CPUEs liées en grande partie aux variations hydro-climatiques rencontrées sur la zone de pêche (ici l’estuaire inférieur et moyen de l’Adour).
En l’absence de fortes pluies, l’eau de l’estuaire de l’Adour et des Gaves est claire. La clarté lumineuse peut ainsi traverser profondément la colonne d’eau, ce qui bloque le flux de civelles en profondeur. Les tamis poussés utilisés sans manche ne peuvent pêcher que dans la partie supérieure de la colonne d’eau, là où la civelle n’est pas disponible (calée en profondeur). Dans ces conditions, la civelle va migrer vers l’amont près du fond, de manière plus ou moins rapide selon la force de la marée. C’est dans ces conditions que l’utilisation du tamis dit « ancré » est optimale, car il permet dans la partie supérieure de l’estuaire de pêcher au fond les flux de civelles qui remontent dans le haut de l’estuaire. Lorsque les conditions sont propices: eau claire, débit faible et fort coefficient de marée , les pêches au tamis ancré peuvent être excellentes.
A contrario, lorsque le débit est très fort, les eaux sont chargées et les civelles qui ont principalement une nage portée dans l’estuaire vont se retrouver bloquées en surface contre les berges et dans les zones de calme. C’est dans ces conditions que le tamis à main peut être utilisé efficacement et donner lieu à de très fortes pêches.
Lorsque le débit est soutenu et équilibre bien la force de la marée, les civelles sont en partie en surface et remontent de manière plus lente sur l’ensemble de la tranche d’eau. Le tamis poussé est alors l’engin le plus approprié.
Sur le bassin de l’Adour, deux types de pêcheurs professionnels cohabitent: marins et fluviaux. Les premiers opèrent soit au tamis poussé dans le bas de l’estuaire soit au tamis ancré dans l’estuaire moyen. Les seconds utilisent dans l’estuaire moyen et le haut de l’estuaire soit le tamis à main soit le tamis ancré.

Le graphique ci-dessus illustre ce qui vient d’être dit précédemment. Il montre également la très forte connaissance des pêcheurs professionnels sur le comportement de la civelle (et de manière plus générale de l’ensemble des poissons migrateurs). C’est un métier basé sur l’observation et sur les savoirs traditionnels locaux qui se transmettent bien souvent d’une génération à l’autre. Le maintien de cette profession dans les estuaires et les zones de pêche continentales est de plus en plus difficile. Pourtant ces communautés de petite pêche offrent une aide précieuse pour l’évaluation de ces populations d’anguilles et de poissons migrateurs dans des milieux où les moyens scientifiques sont peu appropriés à la diversité des habitats.
Il n'y a pas que sur le bassin de l'Adour et des Gaves que cela s'améliore.

Le graphique ci-dessus compile les données issues de diverses sources issues de projets européens sur l’anguille. (Rapport final Contrat EC/DG FISH (DGXIV) N°99/023- Agreement 00/1213516/NF, rapport UE – IFREMER – LabSad-INSA – CEMAGREF – CSP, 147 pages + annexes, coord. P. Prouzet ; Rapport PECOSUDE, EC/DG FISH (DG XIV, 99/024 – Les Petites Pêches côtières et estuariennes françaises du Sud du golfe de Gascogne, Coord. J.-P. Léauté ; Prouzet et al, 2007. Quantification de la biomasse saisonnière de civelles (Anguilla anguilla) dans l’estuaire de la Loire et estimation du taux d’exploitation saisonnier de la pêche professionnelle pour les saisons de pêche 2003 à 2005. Rapport projet INDICANG,IFREMER-UPPA, 43 pages).
La période en vert correspond aux informations recueillies dans les années 90s sur différents estuaires: Loire, Vilaine, Gironde ou Adour qui constituent les principales pêcheries. Les moyennes des captures par sortie saisonnière durant la période indiquée par site se situe entre 2 et 7,5 kg par sortie.
En rouge on a la période comprise entre le début des années 2000 jusqu’en 2011, année où les contraintes sur la pêche des anguilles mises en place dans le cadre du règlement 1100/2007 peuvent commencer à se faire sentir. Des données existent sur la Loire comme sur l’Adour et montrent que la moyenne saisonnière des captures par sortie est globalement divisée par deux par rapport à celle recensée lors de la période verte.
Enfin en orange, la période actuelle indiquant que les moyennes saisonnières des captures par sortie sont au niveau de celles que l’on observait dans les années 90s, malgré des contraintes sur l’exercice de la pêche bien plus importantes que pendant les années 90s.
Il semble évident que l'augmentation de l'abondance des civelles dans les estuaires de la partie centrale de l'aire de répartition est sous-estimée.
Nous ne savons pas si cela est fait intentionnellement ou non, mais ce que nous pouvons dire c’est que les conditions d’application du principe de précaution et du principe de prévention ne sont pas respectées.
Le principe de précaution est l’évaluation du risque engendré par une activité anthropique sur la population concernée. Celui-ci est à l’évidence surestimé pour la pêche et sous-estimé pour les autres facteurs anthropiques. Or cette embellie des remontées de civelles ne peut se concrétiser en termes de production d’anguilles jaunes et argentées que si la continuité écologique est améliorée et la surface des habitats réellement disponibles fortement augmentée. Ce n’est pas le cas actuellement (cf. voir rapports nationaux soumis au CIEM, et rapport de la CGPM). La Commission ferait bien de s’attacher à l’atteinte de ces deux derniers objectifs au lieu de s’acharner sur la pêche.
Le principe de prévention repose sur l’utilisation des meilleures techniques et observations disponibles pour minimiser la survenue du risque. Ce n’est pas le cas actuellement. L’anguille est classée sur la liste rouge de l’UICN au regard de la diminution forte et rapide des remontées de civelles depuis les années 80s. La Commission européenne a renforcé les mesures contraignantes sur la pêche, sous la pression de certaines ONGs, au motif que la tendance des remontées de civelles montrée par les courbes utilisées par le CIEM, baptisées North Sea et Elsewhere, n’indiquent pas d’augmentation significative.
Ce n’est pas ce que nous voyons sur le terrain et que nous recensons actuellement (voir § ci-dessus). La courbe Elsewhere qui est censée représenter la fluctuation des remontées de civelles dans la partie centrale de l’aire de répartition est un amalgame de données disparates émanant de la façade atlantique et de la Méditerranée, deux zones dont on sait que la dynamique et l’intensité de l’arrivée des civelles dans les zones côtières ne sont pas les mêmes. En outre, les données les plus importantes et émanant des principales pêcheries françaises du golfe de Gascogne ne sont plus prises en compte depuis 2008, alors qu’elles sont disponibles (voir page 16 du Livre Blanc sur l’anguille – Un Livre Blanc sur l’Anguille Européenne signé par les structures officielles de la pêche professionnelle maritime et continentale en France – Anguille Responsable).
Comment avec ce « thermomètre » peut-on mesurer objectivement une augmentation des remontées de civelles dont on sait qu’elle se manifestera en premier dans les estuaires du golfe de Gascogne. Il est temps que la Commission Européenne fasse preuve d’un peu plus de pragmatisme et d’objectivité dans la gestion de cette espèce. Il en va de la survie de petites communautés de pêcheurs, mais aussi de la restauration de l’espèce.