Le Sommet sur les Océans qui se déroule actuellement à Nice dans la cadre des Nations Unies parle en abondance de pêche illégale, de la pollution par les plastiques, de la préservation de certaines espèces dites « totémiques ». Certes ces sujets sont d’importance, mais ne doivent pas faire oublier l’absence de cohérence de nombre de structures gestionnaires qui, sous la pression de certaines ONGs, prennent des décisions qui vont à l’encontre de ce qui a été discuté de manière démocratique et partagée au sein de forums participatifs réunissant élus, scientifiques et usagers (voir atelier anguille de 2006 à l’origine de l’élaboration du plan de restauration de l’anguille européenne).
Le cas de la gestion de l’anguille européenne et plus largement des grands poissons migrateurs comme le saumon atlantique, la grande alose, la truite de mer, illustre parfaitement une
approche tout à fait technocratique allant à l’encontre de ce qui a été démocratiquement discuté et décidé et qui, in fine, sous la pression de nombreux lobbies environnementaux ou non, ne s’attaque pas aux racines du mal. La gestion de ces espèces se résume à appliquer le procédé du « Haro sur le baudet ».
Ceci consiste à faire porter la responsabilité de la dégradation de ces ressources halieutiques sur une activité séculaire qui ne cesse, depuis au moins 40 ans, d’interpeller les pouvoirs publics sur la dégradation de la qualité des eaux, sur l’inconscience de ceux qui l’utilisent comme une matière sans vie, qui artificialisent des écosystèmes à forte biodiversité et qui polluent sans compter. Tout ceci a été dénoncé, prouvé, synthétisé dans de nombreux rapports parlementaires, sénatoriaux et européens.
Le socle de la gestion de l'anguille européenne est le règlement UE 1100/2007
Celui-ci depuis le 18 septembre 2007 institue des mesures de reconstitution du stock d’anguilles européennes permettant d’atteindre à long terme (durée non définie) l’objectif de 40% de la quantité d’anguilles qui aurait été produite dans un environnement non impacté par l’action humaine.
Pour se faire, la pêche de l’anguille à tous ses stades biologiques, n’est pas interdite, mais doit être régulée.
Plus précisément pour la civelle, la mortalité induite par son exploitation doit être réduite de 50% par rapport à la mortalité estimée de 2004 à 2008 (considérant 14 du règlement). L’atteinte de cet objectif est mesuré en France par un comité scientifique et fait l’objet d’un rapport annuel soumis aux administrations gestionnaires. Cet objectif de réduction de la mortalité par pêche est considéré comme atteint pour la pêcherie civelière française.
Au considérant (13), à partir de juillet 2013, 60% des civelles capturées doivent être utilisées pour des projets de repeuplement (transfert d’un milieu donneur vers un milieu récepteur). Ces projets font l’objet d’un suivi annuel. Rappelons qu’en France ce suivi est coordonné par l’Association ARA France dont l’AFPMAR est membre et effectué sous la coordination du Muséum d’Histoire Naturelle.
« En cas de baisse importante des prix moyens du marché des anguilles d’une longueur inférieure à 12 cm destinées au repeuplement,…., la Commission devrait être autorisée à prendre les mesures nécessaires, qui peuvent inclure une réduction temporaire des pourcentages
d’anguilles d’une longueur inférieure à 12 cm destinées
au repeuplement ». Alors qu’est ce que la Commission attend si l’on se réfère à l’actualité précédente! voir Le marché du repeuplement plombe encore une fois de plus l’économie de la pêche civelière française. – Anguille Responsable
Le secteur de la pêche civelière a atteint les objectifs assignés de manière responsable et transparente
Le secteur de la pêche a atteint les objectifs assignés par le règlement UE 1100/2007. La traçabilité de la capture tout au long de l’activité de pêche et de mareyage est forte et contrôlée par les différents services de l’Etat sur le terrain de la capture à l’utilisateur final. (voir figure ci-dessous)
De ce fait, nous ne comprenons pas l’acharnement de la DG MARE et de la DG ENV à éradiquer toute pêche de l’anguille sans évaluation des plans de gestion nationaux et au vu d’expertises qui avouent leurs incapacités à évaluer l’impact des facteurs de pression sur cette ressource halieutique (WKFEA 2021, 5.2.2. page 26). L’imposition de périodes de pêche très réduites en zone maritime n’est que de peu d’intérêt dès lors que la gestion se fait par quotas définis par un comité scientifique dont les membres sont impliqués dans les expertises du groupe de travail anguille du CIEM. Que le quota de consommation soit atteint en 30 jours ou plus, que le quota de repeuplement soit atteint en 80 jours ou plus ne changera
en rien l’impact de la pêcherie civelière sur le stock d’anguille sauf à complexifier la gestion et le suivi de l’espèce par des calendriers qui ne reposent sur rien! (voir actualité Encore une usine à gaz sous la pression de Bruxelles : les dates de pêche pour la civelle ! – Anguille Responsable).
Le questionnement de la DGMARE et de la DGENV aux groupes d’expert du CIEM est hors sujet. Le groupe de travail anguille du CIEM a déjà répondu qu’il était dans l’impossibilité d’évaluer cette population compte-tenu des observations collectées. Personne depuis la mise en place du règlement 1100/2007 n’a demandé à ce qu’il soit mis en place une gestion dans un cadre classique d’exploitation durable. Le rapport Van-Ruyssen de 2023 a bien rappelé que la Commission devait s’attacher à évaluer les résultats des plans de gestion et la minimisation de tous les impacts anthropiques et pas seulement celui de la pêche.

Un marché du repeuplement bloqué par la faute de la Commission et sous contrôle du secteur de l'élevage.
Il est incompréhensible que les services de la Commission Européenne refusent d’appliquer l’article 7 § 6 du règlement UE 1100/2007 concernant la modification de la clé de répartition. A moins que la Commission de manière arbitraire le fasse volontairement afin de privilégier les promoteurs du repeuplement en Europe pour qu’ils acquièrent de la civelle à bas prix dans un contexte caractérisé par une offre dépassant largement la demande.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que pour abaisser le quota de repeuplement, il faut abaisser le quota global ce qui mécaniquement diminuerait fortement le quota de consommation qui constitue la base de la rémunération du secteur civelier français comme nous l’avons vu dans l’actualité précédente.
Ainsi le secteur civelier français devient un des plus gros contributeurs financiers du repeuplement en Europe.
En effet, dès lors que sous financements publics, la France alloue un prix plancher de 260 euros pour l’achat de civelles alors que hors de France, le prix moyen pour la saison 2024 – 2025 est de 149 euros, le déficit de plus de 110 euros génère une perte potentielle pour le secteur civelier estimée à près de 3 111 000 euros soit par entreprise une contribution forcée de 6 500 euros.
Ceci profite aux promoteurs du repeuplement, mais pas à augmenter la demande en civelle car le secteur de l’élevage propose de plus en plus la fourniture d’anguillettes pour le repeuplement dont la traçabilité ne peut être vérifiée.

Le graphique ci-dessus montre l’accroissement des relâchés d’anguillettes issues du secteur de l’élevage en Europe.
Les données issues des 3 dernières années ne sont pas disponibles, mais tout porte à croire au vu de certains appels d’offres que l’utilisation des anguillettes issues de la filière d’élevage va s’intensifier.
Ceci pose plusieurs problèmes que nous tenons à évoquer dès lors que les repeuplements en Europe sont financés en grande partie sous financements publics et notamment européens.
Au plan de la biologie, les quelques travaux comparatifs montrent que l’on peut obtenir de bons résultats avec l’utilisation de civelles ou d’anguillettes pour ce qui concerne la production d’anguilles jaunes, mais il n’y a aucun avantage à utiliser de l’anguillette à la place des civelles si le repeuplement est fait au printemps. (voir Simon and Dörner 2013 – Survival and growth of E. eel stocked as glass and farm sourced eels in five lakes. Ecological of freshwater fish, vol 23, Issue 1, 40-48)
Cependant, des études restent à faire sur l’influence de la phase d’élevage à haute densité sur le comportement des individus relâchés dans la nature et sur leur sex-ratio.
En outre, les risques d’infection par l’Herpès virus 1 des individus décersés sont loin d’être négligeables comme le montrent certains travaux (voir – Kullman and Thiel, 2018 – Bigger is nbetter in eel stocking measures ? Fisheries Research, Vol 205, 132 – 140.). Ceci est contraire aux recommandations du règlement UE 1100/2007 qui insiste sur la qualité sanitaire des produits déversés pour la restauration de l’espèce.
Au plan de la traçabilité, il est quasiment impossible de savoir si les civelles viennent de lots pris sur le quota de consommation ou sur celui du repeuplement dès lors que les civelles entrent dans la phase d’élevage. Aucun standard ne peut l’assurer actuellement, alors que cette traçabilité est parfaitement définie lorsque la civelle est vendue aux éleveurs.
Au plan économique, la production d’anguillettes pour le repeuplement vendues au moins 5 fois le prix de la civelle induit à financement public constant une baisse de la demande en civelles estimée à 10 tonnes au niveau européen. (Notons que c’est le déficit actuel entre l’offre française et la demande en Europe).
Au prix actuel de 149 euros cela fait une perte pour le secteur civelier français de 1 490 000 euros à ajouter à la perte potentielle générée par un marché du repeuplement en Europe bloqué, volontairement ou non, par la Commission.
Soit une perte totale de 4 600 000 euros, c’est à dire par entreprise une perte de 9 200 euros de revenus. Il y a de quoi ne pas être content devant un tel gâchis économique.