Encore une fois la pêche de loisir se trompe de cible.

Les pêcheurs de loisir de l’Union Rhône-Méditerranée-Corse (UFBRMC) viennent de publier une résolution lors de leur dernière assemblée générale du 13 juin 2024.

Pour le faire de manière simple et concise, ils s’insurgent contre l’arrêté du 14 mars 2024 relatif aux périodes de pêche de l’anguille européenne en Méditerranée dans le domaine maritime et les eaux continentales interdisant la pêche récréative et restreignant très fortement la pêche professionnelle de cette espèce au motif essentiel que cette disposition introduit « une iniquité de traitement entre pêcheurs professionnels et pêcheurs de loisir et ne peut que s’avérer inefficace par rapport aux objectifs de conservation de l’espèce ».

Cette différence de traitement que nous ne considérons pas comme inique, mais comme une conséquence logique du statut social différent des pêcheurs de loisir et des pêcheurs professionnels, est justifié tout simplement par le fait qu’un pêcheur professionnel pêche pour faire vivre sa famille et un pêcheur de loisir pêche pour son plaisir.

En outre, qualifier les pêcheurs de loisir recherchant cette espèce «de sentinelles des rivières et défenseurs de cette espèce » est pousser le bouchon (de la ligne) un peu loin dès lors que les autorités gestionnaires n’ont en Méditerranée que très peu d’informations sur les captures d’anguille effectuées par la pêche de loisir ce qui n’est pas le cas pour la pêche professionnelle sur l’ensemble des zones exploitées.

Ce manque d’informations est si criant que dans le projet de rapportage français, les services gestionnaires sont obligés de s’en remettre à des approximations qui datent de 2015. Dans ce projet de rapportage l’estimation des prises de loisir pour le bassin Rhône-Méditerranée-Corse (RMC) est inconnu et à l’échelle de la France il est mentionné ceci : « Faute de déclaration obligatoire, pour disposer d’éléments sur les captures, sur certains bassins ou départements, des enquêtes ou des systèmes de déclaration volontaire ont été mises en place par des FDAAPPMA ou des « associations migrateurs ». La mise en œuvre de ces enquêtes s’est jusqu’à ce jour heurtée à des difficultés méthodologiques et les captures des pêcheurs de loisir demeurent non quantifiées précisément, faute de remontées systématiques ».

D’après les approximations de 2015 qui s’avèrent, faute de mieux, toujours d’actualité selon les services gestionnaires, le poids total capturé d’anguille par les pêcheurs de loisir sur le domaine privé du bassin RMC s’élève à 83 tonnes (tableau 30 page 80 du projet de rapportage). Ceci n’a rien de négligeable pour des pêcheurs qui n’en font pas un commerce, mais un simple loisir et lorsque l’on compare cette quantité à celles effectuées par les pêcheurs professionnels en eau douce (29 tonnes) et même dans le domaine maritime (390 tonnes).

En outre, prendre Ifremer comme source de référence pour un avis sur l’état de ce stock alors que l’Institut, malheureusement, a abandonné toute expertise sur cette espèce depuis 2010 est un peu léger. Aucun des deux organismes d’expertises commandités par l’Union Européenne : le CIEM (Conseil International pour l’Exploration de la Mer) et la CGPM (Commission Générale des Pêches en Méditerranée) n’est capable d’évaluer ce stock, même si tout le monde admet (et les pêcheurs professionnels les premiers) que la densité d’anguilles s’est fortement réduite. De là à dire que « la quantité de reproducteurs est insuffisante pour le renouvellement de ces populations » est une extrapolation hâtive et non fondée que l’Ifremer, ni aucun autre organisme scientifique, n’est en mesure d’avancer.

Pour rappel, le CIEM a admis dans son rapport de février 2021 qu’il n’avait pas les moyens ni les éléments pour évaluer un tel stock et a fortiori de définir quantitativement des volumes de captures et qu’il considérait que, dans le cadre de son « approche de précaution », il convenait par mesure de prudence de ne pas exploiter une telle population. Ceci constitue un jugement lié à la forme classique des avis émis par le CIEM quand on sait peu de choses sur l’espèce.

La CGPM, dans son rapport de 2023 a repris sans autre argument l’avis du CIEM sur la pêche, mais a été plus loin dans son analyse en estimant que l’habitat de cette espèce était dans un état critique sur le bassin Méditerranéen (36% des 862 695 hectares répertoriés peuvent être naturellement colonisés par cette espèce) et qu’il était urgent de restaurer ces écosystèmes et de diminuer la mortalité non liée à la pêche. (voir précédente actualité. sur le rapport CGPM)

Notons également qu’en ce qui concerne ses effectifs, la pêche professionnelle n’a pas été épargnée en Méditerranée puisque dans le domaine maritime la baisse enregistrée a été de 35% (297 en 2009 à 194 en 2023) ainsi que la pêche professionnelle fluviale dont les effectifs sont fortement réduits : 4 pêcheurs actuellement.

Puisque les dirigeants de la pêche de loisir se réfère aux organismes d’expertise pour conforter leurs dires, il faudrait alors qu’ils prennent en compte tous les éléments donnés notamment par la CGPM dans son second rapport de 2024:

  • 25% de la surface lagunaire est colonisable naturellement dans le bassin méditerranéen et permet un échappement en anguilles argentées sans intervention humaine ;
  • Moins d’un tiers de la surface mouillée des rivières et des fleuves est utilisable par l’anguille ;
  • Les lacs sont peu connectés au réseau hydrologique et ne sont pas utilisables naturellement par l’anguille.

Il semble que la pêche de loisir fasse, dans le cadre de la restauration de cette espèce, comme d’ailleurs dans le cadre plus général de la restauration et de la gestion des populations de grands migrateurs, fausse route en se trompant de cible et en ne demandant pas expressément comme le demande la pêche professionnelle que la continuité écologique soit au moins respectée par ceux qui la perturbent.

Conformément, au principe « Pollueur-Payeur », un des trois grands principes de la Charte de l’Environnement, il est anormal que les producteurs d’énergie ne soient pas ceux qui payent en grande partie cette restauration alors que les effets directs et indirects sur l’accroissement de la mortalité de l’anguille ont été largement démontrés (voir notamment les rapports nationaux soumis au groupe de travail anguille du CIEM).

Quant au projet de PLAGEPOMI RMC 2022-2027, il n’a pas été signé par les pêcheurs professionnels au motif que celui-ci ne prévoyait pas d’actions suffisantes et efficaces pour améliorer la continuité écologique et continuait, comme le font les pêcheurs de loisir, à prendre la pêche professionnelle comme une variable d’ajustement à l’incapacité de l’administration gestionnaire de prendre des mesures significatives contre ceux qui prennent le Rhône pour un simple tuyau d’approvisionnement en eau.

Ce qui est évident c’est que sans une restauration de son habitat, notamment dans le bassin méditerranéen, le devenir de l’espèce sera celui d’une espèce secondaire qu’il y ait pêche ou non.