Des solutions existent, mais encore faut-il avoir le courage de les mettre en œuvre.
L’AFPMAR avait déjà fortement critiqué le caractère autoritaire de la Commission Européenne sur les périodes d’ouverture de la pêche de l’anguille plus que limitées dans le temps, laissant peu d’opportunités aux professionnels de la pêche, en particulier civelière, pour exercer leur métier et faire vivre leurs entreprises (voir Un bien mauvais signal pour l’Europe: « Encore une posture totalement technocratique et sectorielle de la Commission Européenne sur la pêche de l’anguille » – Anguille Responsable).
La DGAMPA lors de la réunion du Comité National Anguille du 25 juin 2024 a fait un compte-rendu des éléments qui seront rapportés à la Commission Européenne sur les actions mises en œuvre dans la cadre du Plan de Gestion Anguille français.
Force est de constater que la pêche professionnelle, malgré l’atteinte des objectifs qui lui avait été assignés : forte diminution de l’effort de pêche, traçabilité des productions, participation à la gestion de l’espèce, subit des contraintes de plus en plus fortes sur les périodes de pêche qui sont limitées de manière caricaturale et des contrôles administratifs de plus en plus renforcés.
A l’inverse peu de progrès ou des progrès très lents sur les autres contraintes pourtant primordiales pour la pérennité de l’espèce : continuité écologique très faiblement améliorée, impacts des obstacles, de la perte d’habitats pas ou peu évalués, dégradation des milieux estuariens, continentaux non pris en compte. Pas de mise en œuvre du principe pollueur-payeur notamment pour l’entrave à la continuité écologique latérale et longitudinale.
La pêche professionnelle apparaît encore dans ce rapport comme une activité à limiter ou à éradiquer tant les contraintes sur son déroulement sont fortes voire incompatibles avec la pérennité économique de beaucoup d’entreprises de pêche (notamment celles des jeunes qui n’ont pas encore amorti leurs équipements). C’est, nous ne cessons de le dire, une variable d’ajustement fort commode pour une administration dépassée par la complexité de l’enjeu.
En effet, sans aucune évaluation de la mise en œuvre des plans de gestion anguille en Europe et malgré le rapport du Parlement Européen sur la mise en œuvre des plans de gestion anguille dit « rapport Van-Ruyssen » (voir Enfin un peu plus de cohérence et de vision globale de la part de l’Union Européenne sur l’anguille – Anguille Responsable ) , la Commission Européenne dans son règlement 2024/257 article 13 édicte les « invraisemblances réglementaires » suivantes pour la pêche de la civelle sur la façade Atlantique (en Méditerranée la pêche de la civelle est interdite) :« 6 mois de fermeture devant couvrir la période de migration principale ».
Il est clair qu’avec une telle demande, c’est la pêche civelière française qui aurait été éradiquée et avec elle l’ensemble de la filière anguille en Europe puisque sans pêche de civelle pas de possibilité de développer l’élevage d’anguille.
Après discussion, une dérogation a été obtenue : « possibilité d’ouvrir par dérogation 30 jours pendant la période de migration pour la consommation et le repeuplement plus 50 jours supplémentaires mais uniquement pour le repeuplement ».
L’acceptation de cette dérogation par l’UE ne doit pas nous duper. C’est une épée de Damoclès au-dessus de la petite pêche artisanale qui a été mise en place pour assurer la pérennité de la filière anguillicole allemande et hollandaise dont le lobbying auprès de la Commission européenne est intense.
Pour la pêche française c’est uniquement une bouée de sauvetage qui fragilise encore plus la pérennité de nos exploitations. En effet, le succès de la pêche dépend de plusieurs choses : de la compétence du pêcheur, de la présence du poisson sur zone, de son comportement fonction des conditions hydro-climatiques (c’est-à-dire de sa capturabilité) et de la présence d’un marché demandeur (notamment pour le marché du repeuplement). Beaucoup d’aléas, beaucoup d’inconnues auxquels le pêcheur peut faire face sous réserve que la fenêtre de pêche soit d’une dimension réaliste, ce qu’elle n’est à l’évidence pas avec cette nouvelle réglementation plus que contraignante qui s’ajoute aux quotas déjà existants.
En outre, l’allongement dérogatoire de la durée de la saison de pêche uniquement pour le marché du repeuplement, marché fort peu dynamique en Europe est un leurre qui aboutira encore à faire baisser le prix de la civelle en Europe.
L’avenir est ainsi plus que sombre pour notre profession et particulièrement les jeunes qui viennent de s’installer et qui constituent le maillon nécessaire à la pérennité de cette activité de petite pêche inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO. D’un côté, on nous empêche de plus en plus d’exercer notre métier et de l’autre de vendre au plus offrant en nous privant, sur le quota de consommation, d’un marché asiatique très porteur et en nous restreignant à un marché européen plus que limité.
L’activité de pêche à la civelle a toujours constitué le noyau dur de l’économie des pêches estuariennes et continentales. Par des mesures et restrictions injustifiées sur l’exercice de la pêche, il est évident que beaucoup des entreprises de pêche concernées vont se reporter, avant de sombrer définitivement, vers des reports d’activités sur d’autres espèces déjà fortement recherchées en zone côtière. Il ne s’agit pas ici de dire qu’il ne faut pas contrôler le temps de pêche, mais de l’aménager afin de permettre aux acteurs de la filière de mieux absorber ces contraintes au plan social et économique. Ainsi, on ne peut poser un ultimatum à des pêcheurs professionnels en leur laissant que quelques jours pour choisir une solution entre des fenêtres de pêche dont la largeur est insuffisante pour cadrer avec les aléas environnementaux de cette activité.
En outre, si l’administration au plan européen et national veut apporter des solutions crédibles qui prennent en compte à la fois l’aspect protection de la ressource, durabilité sociale et économique de l’activité, on ne peut agir uniquement sur le paramètre « intensité d’exploitation », mais aussi sur le paramètre « valeur de la production générée ». En gros « moins pêcher » mais « mieux valoriser ». Ces deux paramètres doivent être pris en compte simultanément par les autorités gestionnaires si l’on veut sauver la filière pêche sur cette espèce.
Des solutions existent, et nous l’avons déjà dit, dans un cadre de gestion raisonnée de cette ressource. Les réglementations européennes, CITES et nationales le permettent, il suffit uniquement d’une volonté politique :
1 – Conformément au règlement 1100/2007 – article 7, alinéa 7 concernant les « mesures de repeuplement » qui dit : «« En cas de baisse importante des prix moyens du marché des anguilles destinées au repeuplement, par rapport à ceux des anguilles utilisées à d’autres fins, l’État membre concerné en informe la Commission. Celle-ci, conformément à la procédure visée à l’article 30, paragraphe 2, du règlement (CE) no 2371/2002, prend les mesures nécessaires pour faire face à la situation, mesures qui peuvent inclure une réduction temporaire des pourcentages visés au paragraphe 2 ». C’est le cas actuellement ainsi que le montre le rapportage français. D’où une demande de modification de la clé de répartition telle qu’elle était à l’origine de la mise en œuvre des plans de gestion : 60% pour la consommation et 40% pour le repeuplement.
2 – L’anguille est classée depuis juin 2007 à l’annexe II de la CITES (Commerce International des Espèces Sauvages). Depuis 2010, il n’est plus autorisé sans certificat d’export signé par l’autorité scientifique du pays requérant d’exporter ou d’importer en-dehors de l’UE de l’anguille non produite ou pêchée en Europe.
Pourtant la CITES n’interdit pas le commerce en dehors de la zone de répartition[1] sous réserve que :
- Il existe un plan de gestion agréé par les autorités gestionnaires européennes conformément au règlement 1100/2007 – c’est le cas ;
- Que l’espèce soit pêchée ou produite conformément aux lois en vigueur concernant la protection de la faune et de la flore dans l’état concerné – c’est le cas ;
- Qu’un tel export ne soit pas fait aux détriments de la survie de l’espèce – c’est le cas puisque la réglementation française prévoit un sous-quota de consommation destiné à être consommé et non à être relâché.
Cette autorisation permettrait à la pêcherie civelière française d’amortir le peu de dynamisme du marché européen contrôlé par la filière d’élevage et de fixer un horizon social et économique un peu plus serein que celui que l’on nous prépare actuellement.
3 – La réglementation française a été la seule à prévoir une gestion par quota et les professionnels se sont pliés à des conditions de déclaration draconiennes qui permettent une traçabilité sans faille de la production de ce secteur. Il est tout à fait possible, de ce fait, et sur la seule volonté de la partie française de prévoir sur le quota de consommation un sous-quota d’export hors-UE qui aurait pour but de redonner une bouffée d’oxygène aux entreprises de petite pêche concernée par cette ressource, de limiter le trafic illégal qui s’est accru à la suite de la demande de l’UE de ne pas permettre l’export de l’anguille hors-UE et de redynamiser un marché dont le seul débouché rémunérateur reste celui de la consommation.
Vouloir comme le préconise certaines personnes réduire encore la taille de la flottille de pêche serait non seulement un mauvais signal envoyé à nos décideurs, mais laisserait encore plus le champ libre aux usages qui n’exploitent les écosystèmes aquatiques que pour l’eau qu’ils contiennent et non pour la biodiversité qu’ils génèrent.
Les solutions proposées sont réalistes dans le contexte actuel de la gestion et de la restauration de cette espèce dont les milieux ont été saccagés par de multiples usages. Ne pas vouloir les mettre en application conforterait encore plus le secteur de la petite pêche professionnelle dans le sentiment que son avenir est de peu d’intérêt pour ceux qui nous gouvernent et que la transition écologique reste une simple vue de l’esprit et non, comme ceux qui vivent de la productivité des milieux naturels, une nécessité qu’ils réclament depuis fort longtemps.
Le Bureau de l’AFPMAR
[1] Voir l’accord obtenu par le Maroc et les expéditions d’anguilles effectuées par les pays du Magreb.