La Commission Générale des Pêches en Méditerranée publie son second rapport sur l’anguille : forte divergence entre les avis des scientifiques et des pêcheurs sur les mesures à prendre et des efforts conséquents à faire pour améliorer l’expertise.
Les 4 et 5 juin 2024, les experts sur l’anguille se sont réunis au siège de la FAO à Rome pour compléter leurs recommandations sur le plan de gestion de l’Anguille en Méditerranée.
L’objectif de cette réunion était de définir une feuille de route concernant les mesures de gestion de cette ressource sur le long terme en contrôlant la mortalité par pêche tout en maintenant un certain niveau de revenu aux pêcheurs professionnels d’anguille. Evaluer l’impact des différents scénarios de gestion combinant diverses mesures portant sur la diminution de la mortalité par pêche et sur la restauration des habitats, de la continuité écologique ainsi que de la limitation des prédateurs.
L’intérêt de cette réunion portait sur la diffusion des résultats issus des premiers questionnaires et enquêtes effectués auprès des pêcheurs professionnels sur la socio-économie de leurs activités, leurs connaissances écologiques à une échelle locale ainsi que sur leurs avis concernant les mesures de gestion.
Des ateliers ont été organisés pour mieux cerner le contexte environnemental, social et économique de l’exploitation de cette ressource en Méditerranée.
Pour ce qui concerne l’habitat potentiel de l’anguille en Méditerranée :
- La surface totale potentiellement utilisable par l’espèce est évaluée à 1 159 944 hectares dont les deux-tiers (769 699 hectares) sont des écosystèmes lagunaires. 25% sont constitués par des axes fluviaux et estuaires, et un peu moins de 10% par des lacs.
- Beaucoup de ces écosystèmes sont eutrophisés ou hyper-eutrophisés. Si l’on excepte, les lagunes de la partie française, nombre d’écosystèmes lagunaires subissent des déséquilibres hydrologiques entrainant de fortes mortalités de poissons, des épisodes de sécheresse (74%) et d’accroissement de la salinité (36%).
- On constate une forte entrave à la continuité écologique entre les divers milieux : mer, lagunes, estuaires, rivière et lacs. 25% de la surface lagunaire est naturellement colonisable et permet un échappement en anguilles argentées sans intervention humaine.
- Sur les 862 695 hectares répertoriés et analysés soit 74% de la surface potentielle disponible pour l’anguille, uniquement 36% (311 885 hectares) peuvent être colonisés naturellement par cette espèce.
- Pour 45% des estuaires et deltas, le recrutement en civelles se fait au moins dans la partie inférieure des fleuves, mais moins de un tiers de la surface mouillée des fleuves et rivières est utilisable par l’anguille.
- Les lacs sont peu connectés au réseau hydrologique et dans ce cas ne peuvent être colonisés naturellement par l’espèce.
En conclusion, la Commission Générale des Pêches en Méditerranée considère que :
- L’habitat de cette espèce est dans un état critique dans le bassin méditerranéen ;
- Il est urgent de restaurer ces écosystèmes et de diminuer la mortalité non liée à la pêche.
Pour ce qui concerne la connaissance des pêcheurs sur l’écologie des milieux qu’ils exploitent.
791 interviews ont été réalisés dont 501 avec les pêcheurs exploitant les écosystèmes lagunaires.
Il ressort que :
- La pêche de l’anguille est généralement une activité familiale : la transmission des savoirs et savoir-faire est intergénérationnelle ;
- Cette activité est plus une passion qu’une activité pour beaucoup d’entre eux, mais la difficulté du travail, l’excès des contraintes administratives ainsi que les conflits avec les braconniers diminuent fortement leurs motivations à continuer dans l’exercice de ce métier.
- Pour beaucoup, la pêche est la principale source d’occupations, mais elle est couplée avec une activité annexe compte-tenu de la baisse des revenus déjà limités et des possibilités d’exploitation de plus en plus réduite.
- Leurs connaissances du milieu leur permettent d’avoir des informations et des avis pertinents sur les possibilités de mitigation des effets anthropiques et de résolution de nombreux problèmes. Ils constatent l’état de dégradation de la ressource et ont alerté les autorités sur cet état. Ils sont donc enclins à collaborer activement à la gestion de cette espèce et de son environnement.
- Ils soulignent et insistent sur le fait qu’il n’est pas suffisant de mettre en place des mesures sur la régulation de la pêche si l’on veut restaurer l’espèce.
Commentaire AFPMAR : Le constat effectué par l’atelier Habitat justifie cette analyse. Il semble impossible de restaurer la ressource à sa biomasse pristine (B0) sans intervention sur les autres facteurs anthropiques alors que seulement un tiers des habitats est naturellement disponible pour l’espèce.
Pour ce qui concerne l’atelier multi-objectifs.
L’objectif est d’avoir un scénario d’accroissement de l’échappement en anguille argentée à court terme à l’horizon 2030.
Différentes mesures sont testées et les résultats sont synthétisés dans la figure ci-dessous.
Le sentiment des pêcheurs à propos de ces mesures est très clair : NON pour des mesures encore plus contraignantes sur la pêche ; OUI pour des mesures sur la réduction des populations de cormorans, sur l’amélioration de la continuité écologique ou des mesures combinées : relâchés d’anguilles argentées ; réduction des populations de cormorans et amélioration de la continuité écologique.
Commentaires AFPMAR : Si des mesures ne sont prises que sur la pêche, cela veut dire que l’on ne s’intéresse qu’au tiers de la surface naturellement disponible et donc l’atteinte de 40% de la biomasse pristine (cible fixée par le règlement 1100/2007) ne peut être sérieusement envisagée. De plus, une restriction sur l’échappement en anguilles argentées à l’échelle du bassin et a fortiori à l’échelle locale ne peut avoir d’effet immédiat sur le recrutement en civelles qui est principalement orienté vers la partie centrale atlantique de l’aire de répartition. Enfin, pour les autres mesures comme la CGPM le précise (page 66 du rapport du GFCM expert group) l’absence de données rend difficile l’estimation des bénéfices pour l’espèce induits par ces mesures.