La Pêche, source de tous les maux ?

La dernière réunion (voir actualités précédentes) de la Commission Tacs et Quotas de l’UE a encore pris pour cible la pêche de l’anguille sous la pression sans précédent des ONGs environnementales qui ont voulu faire de la pêche de l’anguille la responsable de tous les maux que subit cette espèce.

Une fois de plus des décisions sont prises sans analyse cohérente des éléments existants à la fois sur l’impact réel de la pêche et sur la dégradation parfois irréversible des habitats de cette espèce. On préfère se référer à un avis du WGEEL du CIEM qui est en fait une absence d’avis pour des raisons de facilité : il est plus facile de contrôler et d’arrêter la pêche que de re-naturer les habitats de l’anguille ou bien de minimiser l’impact des nombreuses centrales hydroélectriques qui ont fractionné les écosystèmes aquatiques continentaux depuis au moins le début du 20ème siècle.

La Commission, comme de nombreuses ONGs, se fie à cette expertise sans se soucier de ce qui est dit dans les rapports nationaux, soumis et archivés par le CIEM,  qui, avec une perspective plus large que le seul horizon de la pêche, font une analyse plus factuelle des effets et impacts de diverses natures qui s’exercent depuis plus de un siècle sur cette ressource.

Ignorez délibérément que l’anguille peut se restaurer sans un effort de protection des zones humides encore restantes et sans rétablissement des continuités écologiques dans une grande partie de son aire de répartition,  relève d’une totale incompétence ou d’une coupable ignorance.

Dire que par le seul arrêt de la pêche nous reviendrons en peu de temps à une situation comme celle que nous connaissions, même dans les années soixante-dix est proprement scandaleux de la part d’ONGs qui prétendent défendre un développement durable et restaurer une biodiversité aquatique que de nombreux usages terrestres ont grandement amenuisé.

Le plan de gestion français concernant l’anguille qui a été soumis à la commission suite au règlement 1100/2007 avait comme  objectifs les éléments suivants:

  • réduction de la mortalité par pêche maritime et fluviale de 30% en 2012, et de 60 % en 2015
  •  réduction de mortalité par les autres facteurs de 30% d’ici 2012, de 50% d’ici 2015 et de 75% d’ici 2018
  •  augmentation de la proportion des civelles pêchées réservées au repeuplement (60% au 1er juillet 2013).

Pour la pêche cela a été fait et le nombre de pêcheurs a fortement diminué en France comme en Europe avec pour certains pays des arrêts totaux de l’exploitation de l’espèce et des restrictions des périodes de pêche plus que conséquentes comme en témoignent les plus récentes contraintes imposées par la Commission. Pour les autres usages que la pêche, c’est le fiasco!

Les ONGs environnementales qui prétendent défendre cette espèce au nom d’un développement durable qui n’a de durable que le nom ne s’en offusquent même pas et sont plus pressées de faire de l’acharnement juridique que de la défense environnementale.

Pendant ce temps, les milieux aquatiques des écosystèmes continentaux, estuariens et littoraux continuent à se dégrader avec des conséquences sociales et économiques graves  pour tous ceux qui ont besoin d’un milieu de qualité et à forte productivité pour continuer à vivre. La contamination des espaces littoraux par le débordement des systèmes d’évacuation des eaux usées dû à l’insuffisance des réseaux de type séparatif a provoqué la contamination des huîtres et l’interdiction de leurs ventes pour les fêtes de fin d’année 2023 et de début d’année 2024, démontrant, si besoin en était, l’incapacité de nos gestionnaires à veiller à la qualité biologique et chimique de nos milieux aquatiques.

Pire, la lecture des rapports nationaux soumis au CIEM par le WGEEL montrent que l’on a en fait tiré un trait sur une grande partie des habitats de l’anguille. En France, la définition des zones prioritaires pour l’anguille semble constituer  un état de fait de cette situation.

Dans de nombreux pays de la zone de colonisation de l’anguille européenne, la non franchissabilité des nombreux ouvrages hydroélectriques revient à considérer ces habitats comme définitivement perdus de manière à laisser libre court aux aménagements de toute sorte au nom notamment d’une production énergétique qui n’a de vert que le nom.

La Charte de l’Environnement de 2004 introduit 3 grands principes : Le principe de précaution qui évalue le risque et sa probabilité de survenue ; le principe de prévention qui consiste à anticiper et prendre des mesures pour éviter un risque connu et le principe pollueur-payeur adopté par l’OCDE en 1972 et qui repose sur le fait que les frais résultant des mesures de prévention et de réduction de la pollution doivent être supportés par le pollueur; le pollueur étant un acteur qui dégrade directement ou indirectement l’environnement ou qui crée des conditions aboutissant à sa dégradation. 

Pour ce qui concerne l’évaluation du risque celui-ci est défini, jusqu’à preuve du contraire, par le classement de l’anguille sur la liste rouge de l’UICN dans la catégorie « en danger critique d’extinction ». Même si ce classement peut paraître pessimiste, il permet de bien cerner la hauteur du risque majeur encouru non seulement par l’espèce, mais aussi par ceux qui dépendent de son exploitation. 

Le principe de prévention doit maintenant être appliqué  en évitant ou en réduisant au maximum les effets néfastes sur l’environnement des activités humaines. L’évaluation des plans de gestion montre que cela a été fait pour la pêche (voir rapport Van-Ruyssen de 2023), mais pas suffisamment pour des pressions connues dont les effets néfastes sont listées par le groupe de travail anguille du CIEM et les rapports nationaux sur l’anguille soumis à cette instance. Ainsi, les impacts des barrages, de la production d’énergie hydroélectrique, des pompages, de la perte et/ou de la dégradation d’une grande partie des habitats de l’espèce ou de la dégradation biologique et chimique des eaux continentales, estuariennes et littorales n’ont pas été suffisamment atténués. En conséquence, les objectifs de minimisation des empreintes écologiques des usages autres que la pêche tels que définis au départ des plans de gestion n’ont pas été atteints. 

Le principe pollueur -payeur doit in fine s’appliquer dans toute sa rigueur. Si le secteur de la pêche professionnelle a été fortement contraint économiquement et socialement en payant un lourd tribut, ce n’a pas été le cas des autres usages dont la pression est reconnue comme forte par l’ensemble des pays caractérisés par la présence de l’anguille européenne dans leurs écosystèmes aquatiques: production d’hydroélectricité, utilisation de l’eau à des fins d’irrigation, activités industrielles et urbaines dégradant physiquement ou chimiquement les écosystèmes aquatiques,… Au nom de ce principe, les différents acteurs impliqués doivent maintenant assurer financièrement leurs impacts soit en re-naturant les habitats potentiels existant ou en compensant par des mesures de restauration active: repeuplement, facilitation de la migration des anguilles en aval ou en amont des barrages  les pertes engendrées par  l’usage trop intensif des ressources en eau. Force est de constater, sauf pour ce qui concerne la pêche, que ce principe est souvent bafoué par les autres utilisateurs des ressources en eau et des milieux aquatiques.