Faisant fi du rapport Van-Ruyssen (Novembre 2023 P9_TA (2023)0411) demandant une mise en œuvre des plans de gestion avec une vision plus globale permettant de mieux prendre en compte la multiplicité des facteurs de pression s’exerçant sur l’espèce et ses habitats, le commissaire chargé de l’environnement, des océans et de la pêche, Monsieur Sinkevičius a encore une fois de plus chargé la pêche en prenant comme base d’analyse une expertise du CIEM dont le principal signal d’évolution de la population d’anguille européenne repose sur l’analyse d’une tendance fortement biaisée du recrutement estuarien en civelles.
Comment en effet porter attention à des expertises sur l’évaluation d’une ressource qui se base sur une série de données qui ne prend même plus en compte, depuis 2008, les fiches de pêche récoltées par les pêcheurs professionnels français, à la demande de l’administration, sur les principaux estuaires et bassins versants du golfe de Gascogne : Adour Gironde et Loire (voir figure 1). Les observations effectuées sur la répartition de l’espèce montre que cette partie centrale de l’aire de colonisation est la plus irriguée par les flux de civelles issues des vagues de leptocéphales venant de la mer des Sargasses. C’est là que les contraintes imposées à la pêche professionnelle en Europe, depuis la mise en place du règlement anguille 1100/2007, vont se faire sentir en premier. Pas étonnant que les experts qui, au contraire du Principe de Prévention, n’utilisent pas les meilleures données disponibles, ne peuvent que détecter faiblement une embellie qui pourtant avec les séries de données existantes sur le terrain se fait fortement sentir. Les figures ci-dessous montre bien la différence de signal entre la série de données utilisée par le CIEM (figure 2) et celui fourni par des séries de données validées sur l’Adour et issues des journaux de pêche (figure 3).
Comment peut-on sérieusement détecter un signal qui doit se manifester à partir de 2013, alors que les séries les plus importantes sont arrêtées dès 2008. Il n’est pas étonnant que le CIEM ne voit pas que l’accroissement du recrutement estuarien est significatif comme le montre la figure 3 ci-dessous.
Cette vision approximative et sectorielle est bien trop souvent une posture de nombreuses ONGs dites environnementales qui en voulant faire du buzz médiatique et se donner bonne conscience ne font que précipiter ces ressources côtières, littorales, estuariennes et continentales vers un appauvrissement principalement lié à la dégradation de leurs habitats par de multiples usages.
Ethic Océan dont l’objectif est la préservation des ressources halieutiques et des écosystèmes marins en est un bon exemple.
Son dernier communiqué de presse sur l’anguille est farci d’approximations et de clichés sur ces petites flottilles de pêche qui vivent en partie de l’exploitation de l’anguille sans possibilité de la remplacer par une autre ressource. Ceci ne sert en rien la protection de l’espèce et sa nécessaire restauration.
Dès 1983, la population d’anguille européenne en France (mais beaucoup plus tôt au Nord de l’Europe) montrait des signes d’épuisement observés et rapportés par les pêcheurs professionnels. En 1993, un groupe d’experts issus du Groupe National Anguille constitue le GRISAM (Groupe d’Intérêt Scientifique sur les Migrateurs Amphihalins) à la demande de l’administration. Celui-ci déclarait: » la pêche de l’anguille est une activité socialement utile, elle n’est pas le seul facteur responsable de la diminution des stocks. Toute source de mortalité est à limiter immédiatement pour qu’un plan de sauvetage et de restauration ait un sens. Le GRISAM partage sans réserve la position scientifique (et des pêcheurs professionnels) que l’anguille est en danger« . Ce diagnostic était repris par le groupe de travail anguille du CIEM jusqu’en 2021: nécessité de la prise en compte de l’ensemble des facteurs de mortalité et non seulement de la pêche. Après 2021, le CIEM change la forme de son avis, sans malheureusement l’améliorer, en ne se focalisant que sur la pêche comme il le fait pour les ressources halieutiques purement marines. Cette nouvelle formulation avoue que les données recueillies ne permettent pas d’évaluer ni la biomasse du stock, ni les indicateurs nécessaires à la définition de quotas de pêche. En conséquence et compte-tenu de la chute significative de l’indice du recrutement estuarien depuis les années 70s et en application de l’approche de précaution du CIEM, l’avis est de ne pas effectuer de captures. Cette vision sectorielle du CIEM, ne peut en aucun cas résoudre le problème de la protection de cette espèce dont les habitats ont été fortement dégradés et leurs tailles fortement réduites. Cela n’est pas le cas de l’espèce citée en exemple par Ethic Océan : le thon rouge qui est une espèce dont la taille de l’habitat n’a pas été amoindrie ce qui n’est absolument pas le cas de l’anguille pour laquelle la seule régulation de la pêche ne peut permettre l’atteinte de l’objectif assigné par le règlement anguille 1100/2207 dont l’objectif était une diminution de l’ensemble des pressions anthropiques exercées sur ce stock.
Depuis la mise en place du règlement anguille européen 1100/2007, la pêche a atteint largement les objectifs qui lui avaient été assignés et les résultats sur l’accroissement significatif du recrutement estuarien le montrent. Pour les usages autres que la pêche peu de résultats ont été obtenus. Le rapport du Préfet Bernard sur les zones humides de 1994 complété par les rapports ultérieurs sur les zones humides, celui du sénat sur l’épuration (Rapport Emmanuelli de 2003), celui de l’Assemblée Nationale sur la continuité écologique (rapport 3425 de 2016), montrent que le compte n’y est pas.
Plus largement en Europe, le rapport de l’AEE de 2018, la non atteinte des objectifs de la DCE , DCSMM, D/Habitats constamment repoussés montrent aussi que les champs d’exploitation de ces petites pêches côtières, littorales, estuariennes et continentales ont été dégradés dans l’indifférence générale. Le petit film ci-dessous pris sur La Loire par un pêcheur professionnel dans Nantes illustre parfaitement cette indifférence.
Sur ce film une eau usée sort d’une canalisation crevée qui se déverse normalement au fond de la Loire en plein centre de Nantes et au vu de tous.
Nous tenons ainsi à dire à ces messieurs de la Commission que la petite pêche continentale, estuarienne et littorale subit depuis de trop nombreuses années les errements de notre politique de protection de nos milieux aquatiques : marées vertes, pollutions organiques et chimiques, fractionnement des écosystèmes aquatiques, endiguement de nos estuaires, disparition des ripisylves, appauvrissement de nos estrans et prolifération des algues toxiques qui met en péril une partie de notre économie balnéaire.
Il est important de ne pas oublier que, pour les pêcheurs professionnels comme les ostréiculteurs ou les aquaculteurs, l’eau qu’elle soit marine, saumâtre ou douce est une source de vie et non un simple liquide qui sert à produire de l’énergie, à diluer une pollution, à irriguer des cultures ou étancher notre soif.
A ces grands chefs des Relais et Châteaux et en particulier à Monsieur Roellinger, la pêche de l’anguille est nécessaire à la survie de ces entreprises de petite pêche qui débarquent des poissons locaux, de grande qualité et qui participent à la culture gastronomique de nos terroirs. Sans l’anguille, la plupart disparaitront et avec elles une communauté de pêcheurs responsables qui se battent pour que ces milieux soient mieux protégés.
A Monsieur Gilles Bœuf, président d’Ethic Océan, qui a été conseiller au Ministère de l’Environnement et qui devrait savoir que ce Ministère est bien souvent la variable d’ajustement de nos budgets nationaux. La France comme l’Europe n’ont pas su protéger des milieux naturels dont la diversité nous sera pourtant nécessaire à l’adaptation au changement climatique. C’est de cela dont il faut que les ONGs environnementales parlent et non de voir le problème de l’anguille comme de beaucoup d’espèces amphihalines par le seul prisme de la pêche en prenant comme victimes expiatoires uniquement les communautés de pêcheurs.
Pour que nos ports continuent à être des lieux d’échanges, de savoirs et de savoir-faire, de transmission de connaissances et non de simples garages à bateaux, pour que nos fleuves soient autre chose que de simples conduits d’eau, il faut soyez en sûr protéger nos milieux aquatiques marins, littoraux, estuariens et continentaux, mais aussi respecter ceux qui en dépendent directement.