Parution au Journal Officiel de l’Union Européenne du 27 juillet 2024 du document « Mise en oeuvre du règlement instituant des mesures de reconstitution du stock d’anguilles européennes ».

Un document qui dénonce une approche trop sectorielle et axée principalement sur la mise en place de mesures qui condamnent la pêche.

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ:C_202404214

Ce document est relatif à la résolution du Parlement Européen du 21 novembre 2023 sur la mise en œuvre du règlement 1100/2007 du Conseil instituant des mesures de reconstitution du stock d’anguilles européennes.

Il confirme les dires des pêcheurs professionnels français et n’a apparemment pas été pris en compte ni par notre administration en charge de la pêche et de la protection de l’environnement ni encore moins par l’administration européenne chargée de la pêche.

Un considérant attire particulièrement notre attention : « les rapports des États membres sont souvent incomplets et non normalisés » (considérant G) et effectué au fil du temps par de moins en moins de pays membres.

Ce caractère incomplet et peu informatif peut s’appliquer comme l’AFPMAR l’a déjà mentionné au projet de rapportage élaboré par l’administration française et qui, in fine, est un rapport à charge contre la pêche et qui passe sous silence les effets et impacts des autres usages.

Il est important, ici, de bien concevoir que le document dont nous parlons est l’avis du Parlement Européen, qui est non pris en compte, ou très partiellement, par une administration nationale ou plus largement européenne qui affiche une volonté de prendre la pêche comme une variable d’ajustement ou comme une victime expiatoire pour des raisons évidentes de facilité ou pire de complaisance pour des activités jugées comme indispensables au développement de nos sociétés. C’est oublier bien vite que sans pêche et agriculture, notre sécurité alimentaire ne sera plus assurée et que toutes les activités autres que la pêche et qui nuisent à la productivité des milieux aquatiques doivent impérativement minimiser leurs empreintes écologiques et encore plus dans un contexte de changement climatique. La survie de l’anguille et la poursuite des activités qui s’y rattachent sont à ce prix, et nos administrations feraient bien de ne pas l’oublier.

Ce document le rappelle clairement en insistant sur un certain nombre de points qui ont retenu notre attention :

  1. Le règlement relatif aux anguilles constitue l’instrument global le plus approprié. « Il se trouve au cœur de la politique de gestion et de reconstitution du stock d’anguille, en garantissant une approche globale et cohérente qui prévoit également une application complète des mesures dans d’autres domaines concernés en dehors de la pêche » ;
  2. « Souligne qu’il ressort des données que le déclin du recrutement des civelles et les anguilles jaunes s’est interrompu depuis l’adoption du règlement relatif aux anguilles », ce qui est ignoré par la DG Pêche qui se base sur des expertises du CIEM et de la CGPM qui ne prennent pas en compte les données de terrain récoltées par les pêcheurs professionnels ;
  3. « Est gravement préoccupé, partant, par l’approche réductionniste adoptée dans le règlement du Conseil modifiant le règlement (UE) 2023/194 du 30 janvier 2023 établissant, pour 2023, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques,…..qui restreint la pêche de l’anguille au moyen d’une période de fermeture de 6 mois, sans envisager un train complet de mesures qui s’étendrait à d’autres secteurs d’action ainsi qu’une compensation adéquate » ;
  4. « Demande, par conséquent, la création d’un groupe d’experts spécifique aux anguilles qui garantisse la représentation pleine et équilibrée de toutes les parties prenantes pertinentes » ;
  5. « Attire l’attention sur le rôle important que joue la pêche de l’anguille pour la société, en particulier au sein des communautés locales où elle est pratiquée, la pêche de l’anguille étant à la fois une activité socio-économique et une tradition culturelle pluriséculaire; constate que la pêche de l’anguille a considérablement diminué au cours de la dernière décennie; invite la Commission et les États membres à surveiller les restrictions existantes en matière de pêche et, le cas échéant, à proposer des mesures visant à améliorer la durabilité de la pêche à l’anguille; souligne que les pêcheurs commerciaux et récréatifs ont un rôle important à jouer dans la collecte de données ainsi qu’en tant que gardiens et «yeux et oreilles» de nos mers et rivières, et constituent ainsi un atout précieux dans la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN); souligne que la pêche de l’anguille consiste en une activité artisanale à petite échelle et est souvent située dans des zones rurales et reculées, où les pêcheurs commerciaux et ceux pratiquant la pêche récréative jouent un rôle environnemental et socio-économique important »;
  6. « Réaffirme que le repeuplement est l’une des mesures de reconstitution énumérées à l’article 2, paragraphe 8, du règlement relatif aux anguilles ; est d’avis que le repeuplement est une mesure nécessaire à courte ou moyenne échéance jusqu’à la résolution de manière adéquate du problème des barrières migratoires » ;
  7. « Souligne que des efforts supplémentaires doivent être consentis en ce qui concerne les facteurs autres que la pêche qui ont une incidence sur la mortalité des anguilles ; souligne que les obstacles infrastructurels sont l’un des facteurs les plus préjudiciables en matière de mortalité des anguilles ; observe que ce problème n’a pas été suffisamment traité par les États membres, comme en témoignent les évaluations de la Commission en 2014 et à nouveau en 2020 ». C’est un sujet sur lequel les pêcheurs professionnels n’arrêtent pas d’intervenir et demandent que le principe « pollueur-payeur » soit appliqué par une administration trop complaisante vis-à-vis des producteurs d’énergie notamment. Peu d’efforts sont effectués par les Etats Membres et notamment la France pour évaluer les impacts et effets autres que la pêche, alors que la dégradation des milieux aquatiques est évidente et signalée par les rapports des Agences de l’Eau;
  8. « Encourage les États membres à poursuivre les projets de piégeage et de transfert ainsi que de migration assistée en tant que solution temporaire pour l’échappement des anguilles argentées, au cas où des solutions structurelles ne seraient pas possibles à court terme ». Ceci est contraire aux décisions prises par l’administration française pour arrêter ou entraver des projets proposés par les pêcheurs professionnels en coopération avec des organismes de recherche pour évaluer les populations d’anguilles argentées sur de grands axes.

Ces considérations émises par des personnes élues et représentatives de nos communautés doivent être suivies. Force est de constater que ce n’est pas le cas et que la politique actuelle poursuivie par nos administrations, parfois avec cynisme[1], consiste à éradiquer, par mesure de simplicité, l’activité dont l’avenir est lié à la productivité des écosystèmes aquatiques.

L’AFPMAR a fait un certain nombre de propositions dans un cadre qui se veut global et caractérisé par plus de démocratie et moins de technocratie.

Tout d’abord, le rapportage français est incomplet et non conforme à ce qui est demandé par le Parlement Européen et à cette mise en œuvre du règlement européen sur l’anguille. Les solutions proposées par l’administration sont sectorielles et ne prennent en compte, voire ignorent, les impératifs socio-économiques des entreprises. Les bilans des plans de gestion ne peuvent continuer à se baser sur des rapports tronqués et qui, à l’échelle de l’aire de répartition de l’espèce, ne prennent même pas en compte la plupart des informations récoltées sur le terrain par ceux qui les détiennent et les mettent à disposition des gestionnaires : exemple, la non utilisation de données classiques comme les CPUEs pour la pêche civelière afin d’avoir des renseignements pertinents sur l’évolution du recrutement estuarien. Les indicateurs utilisés par le CIEM et repris par la CGPM sont biaisés (mélangeant les indicateurs de la façade atlantique et de Méditerranée, ignorant les informations issues des principales pêcheries françaises) et non représentatifs de l’évolution observée sur le terrain par les pêcheurs professionnels français ainsi que le montre la différence entre valeurs fournies par les experts scientifiques et les ressentis et observations des professionnels sur le terrain.  

Des solutions simples existent et permettraient de concilier à la fois minimisation de l’empreinte écologique de la pêche et maintien de l’économie de la filière pêche et notamment celle de la pêche civelière qui a le plus payé (400% de perte de valeur depuis la mise en place du règlement 1100/2007) dans le cadre de ce règlement anguille. Celles-ci consistent à modifier la clé de répartition consommation/repeuplement et à définir sur le quota de consommation un sous-quota d’export hors UE non interdit par la CITES pour des espèces classées à l’annexe II.

La France dès la mise en place de son Plan de Gestion a défini un sous-quota consommation et un sous-quota repeuplement conformément aux demandes de l’UE. Ceci a été fait dans le but de faciliter l’export hors-UE sur tout ou partie du quota de consommation. Pour le devenir de l’espèce, que la civelle soit consommée en Europe ou en Asie, il est clair (ou cela le devrait pour une administration européenne) que son sort sera le même biologiquement : elle ne participera pas à la production d’anguilles argentées dans le milieu naturel. Par contre, au plan économique le déficit engendré par une décision administrative incompréhensible est considérable. En 2016, le prix moyen départ pêcheur pour la civelle américaine dans l’Etat du Maine atteignait la somme de 3500 US$, soit plus de 10 fois le prix moyen octroyé au pêcheur sur le marché européen. C’est un gâchis économique et social dont la France aurait très certainement pu se passer et sans que cela nuise au devenir de l’espèce. Un rapide calcul montre qu’avec un quota d’export hors UE de 10 tonnes (moins de la moitié du quota de consommation) depuis 2010 c’est un manque à gagner de 400 millions d’euros qui a été subi par la filière pêche et du mareyage.

Au lieu de cela, la DG Pêche définit, sans évaluation préalable des plans de gestion et sans estimation de l’impact socio-économique, des périodes de pêche non conciliables avec la survie des entreprises tout en bloquant la production sur un marché européen peu dynamique et aux mains principalement de la filière d’élevage. Ceci est totalement contraire aux considérations développées par les élus européens   dans la mise en œuvre du règlement 1100/2007.

Enfin, un plan de repeuplement concerté à l’échelle de l’Europe et financé par les utilisateurs de l’eau autres que les pêcheurs sur le principe pollueur-payeur doit être mis en place. Cette mise en place d’un plan de restauration à grande échelle doit se mettre en œuvre en garantissant la traçabilité des anguillettes destinées au repeuplement afin que celles-ci ne constituent pas un sous-produit à forte valorisation d’anguilles à faible croissance dont la survie après relâché n’est pas forcément optimale. 


[1] Comme l’autorisation de licences de pêche professionnelles sur le bassin rhodanien assorties de quotas dont le volume de quelques kg saisonnièrement ne permettait pas de couvrir les frais engendrés par leur exploitation. Ou bien interdire la pêche de la civelle pendant 6 mois consécutif durant la période de remontée principale qui ne dure que 4 mois !