Le 28 octobre 2022, en visio conférence, une présentation du programme de recherche et d’évaluation de l’anguille en Méditerranée était faite par la CGPM (Commission Générale des Pêches en Méditerranée). Près de de 130 participants ont participé à ce webinaire : « Associer les scientifiques et les pêcheurs au processus de collecte de données et de gestion de l’anguille d’Europe en Méditerranée ».
Ce programme de recherche s’est focalisé sur les écosystèmes lagunaires : écosystèmes où les données sont moins partielles et dans lesquels la pêche de l’anguille s’est développée sur le pourtour méditerranéen. Ces études ne prennent pas en compte les écosystèmes fluviaux et d’interfaces entre le bassin versant et la mer alors que ces écosystèmes sont très vraisemblablement des aires de production importantes pour l’anguille : Rhône, Ebre, Medjerda, Pô, Nil,…
Les résultats des calculs effectués par une modélisation des données non détaillée dans ce forum paraissent sur plusieurs points incohérents :
1 – Effet du repeuplement sur l’ensemble des sites (à la densité de 1g/ha) – augmentation de 3,2% de l’échappement en 2030. Le problème soulevé pour ce calcul est l’utilisation d’une densité de 3 civelles par hectare, ce qui est totalement inopérant. A l’échelle des lagunes méditerranéennes françaises cela ferait 58 kg de civelles à immerger. Pour le lac d’Aureilhan en Nouvelle-Aquitaine, la densité utilisée est de 1800 civelles par hectare.
2- Rétablissement de la continuité écologique – augmentation de 0,4% de l’échappement (quantité d’anguilles argentées) en 2030. De manière lapidaire, c’est donner un très mauvais signal à ceux qui érigent des obstacles partout et qui vont continuer à le faire dans les pays méditerranéens qui sont sous tension en ce qui concerne leurs approvisionnements en eau. Le groupe de travail a précisé que cela ne s’appliquait qu’aux lagunes. Certes, mais en laissant trainer ce type de document alors que cela n’est pas très bien précisé dans le rapport, on risque d’avoir des mauvaises interprétations sur un facteur de pression qui est vital pour le devenir de l’anguille.
3 – Interdiction totale de la pêche – augmentation de 109,7% de l’échappement en 2030. A vérifier tout de même car en l’état actuel et avec les données que l’on possède sur les taux d’exploitation dans les lagunes méditerranéennes, on ne « sauverait » en fait que 20% de l’échappement qui serait en outre dilué à l’échelle de l’aire de répartition avec un recrutement résultant complètement dispersé de la Mauritanie à la Norvège. En bref, et pour être très clair: voir un effet de cette mesure 3 ans après l’arrêt de la pêche (conseillé par le groupe de recherche pour évaluer la mesure) est illusoire et conduira à reconduire l’arrêt total de la pêche. Mieux vaut prévenir tout de suite les entreprises impactées et qui le seront clairement pour rien alors que les civelles s’accumulent bien souvent devant les pieds d’obstacles construits à l’embouchure des fleuves et rivières.
A titre d’exemple, le Rhône où il n’y a jamais eu de pêche de civelles à l’embouchure, où la pêche professionnelle de l’anguille est résiduelle depuis 15 ans, ne voit, aux dires de l’administration et de l’Office Français sur la Biodiversité, pas sa situation s’améliorer.
Comme le Conseil International pour l’Exploration de la Mer (CIEM), la CGPM ne replace pas la gestion de l’anguille dans le cadre plus général de la gestion de l’eau et de la restauration des habitats, cadre fort détérioré et qui doit être replacé pour la Méditerranée dans celui plus large du Plan d’Action pour la Méditerranée (PAM) et du Plan Bleu.
Beaucoup d’intervenants ont insisté sur ce point et ont demandé à ce que la gestion raisonnée de l’eau et la restauration des habitats soient un préalable à toutes contraintes supplémentaires sur la pêche. Il en va non seulement de l’avenir de l’anguille, mais aussi d’une gestion plus écologique de nos écosystèmes aquatiques dans un cadre de développement qui n’a de durable que le nom.