Notre métier : produire, valoriser, veiller, gérer

Une vision beaucoup trop sectorielle

Les gestionnaires de nos environnements aquatiques et certaines ONGs dont l’un des buts principaux est l’éradication de nos communautés de petite pêche estuarienne et continentale ont parfois une vision bien trop sectorielle de la gestion de l’environnement. Cela conduit bien souvent à minimiser la nécessité de préserver la sphère environnementale par rapport aux développements des sphères économiques et sociales qui structurent la mise en place d’une politique de développement durable (DD) (voir schéma du DD dans le sous onglet « pour une pêche responsable »). 

Les seuls qui objectivement ont besoin d’écosystèmes aquatiques en bon état pour assurer leur devenir et subsistance, sont bien les professionnels de la petite pêche  continentale et estuarienne qui réclament depuis des lustres la protection de ces habitats aquatiques et qui veulent l’application du principe dit de « responsabilité » . Celui-ci implique que chaque usage minimise son empreinte écologique. Pour la pêche professionnelle de l’anguille subadulte (comme pour la civelle), cela a été fait ainsi que le montre l’évolution du nombre de pêcheurs professionnels depuis la mise en place du règlement anguille 1100/2007. 

Evolution du nombre de pêcheurs pratiquant la pêche de l'anguille subadulte avant et après la mise en place de la réglementation anguille 1100/2007 (données CONAPEDD et CNPMEM)

Pour les autres usages, le compte n’y est pas ! Les objectifs des directives cadres concernant l’eau, le bon état écologique et les habitats: DCE (Directive Cadre Eau) et DCSMM (Directive Cadre Stratégie Milieux Marins) et Directive Habitats  n’ont pas été atteints et ces quelques exemples mentionnés par de nombreuses publications scientifiques illustrent parfaitement la faillite de cette vision trop sectorielle : 

  • En Bretagne, 65% des marais salés, des fonds de baies et des estuaires ont disparu définitivement en moins de 50 ans ;
  • En Loire, l’endiguement des estuaires a fait régresser les boires (annexes hydrauliques)de 30 000 à 3000 hectares ;
  • En Camargue, la surface des zones humides est passée de 67% en 1942 à 39% en 1984 ;
  • L’estuaire de la Seine avant 1846 avait une surface marécageuse de 25 000 hectares dont 13 000 hectares de vasières, actuellement compte tenu de l’urbanisation et de l’industrialisation, il n’en reste plus que 3000 ;
  • 60% de réduction de la surface en eau des Dombes par rapport à celle que l’on observait au XVIIIème siècle ;
  • Entre 1973 et 1990, 52% des surfaces humides du marais poitevin ont été mises en culture ce qui représente 30% du marais ;
  • En Espagne près de 90% de l’habitat de l’anguille a été détruit au cours du XXème siècle ;
  • La partie sud de la Méditerranée est également affectée avec la présence de nombreux barrages pour l’irrigation des cultures ou l’approvisionnement en eau potable dont certains sont placés à l’embouchure des oueds ; 
  • A l’échelle de l’Europe la dégradation des zones humides est conséquente et plus importante qu’aux USA.

Triste bilan qui ne fera que s’aggraver dans un contexte de changement climatique avec la politique actuelle qui prend la pêche professionnelle comme une victime expiatoire de l’irresponsabilité de certains. 

A qui va-t-on faire croire que par la simple régulation de la pêche, on fera renaitre une population d’anguilles dont le sort dépend en premier de la gestion raisonnée des ressources en eau. Les besoins pour l’agriculture, le tourisme, l’approvisionnement en eau potable dans les pays du Sud de l’Europe, déjà sous tension, passeront en premier et la disparition des communautés de pêcheurs ne résoudra pas le problème de la conservation de l’anguille bien au contraire. 

Mise en valeur et reconnaissance du métier de pêcheur: une solution à la restauration et à la sage administration de la ressource anguille.

L’AFPMAR prône, comme les structures de la pêche professionnelle maritime et fluviale: CNPMEM et CONAPPED, le développement d’une pêche responsable s’appuyant sur la minimisation de l’empreinte écologique de l’activité et de l’utilisation des savoirs et savoir-faire non seulement des pêcheurs, mais aussi de l’ensemble des acteurs de la filière. 

Si la capture du poisson est un acte de base du métier de pêcheur professionnel, ce n’est pas une fin en soi. Sa conservation , sa mise à disposition, sa vente au juste prix, sa valorisation font partie d’une suite de procédures qui, in fine, participe à la renommée gastronomique d’un terroir maritime et continental. 

Capturer un poisson pour le plaisir est une chose, en capturer pour assurer la sécurité alimentaire d’une population en est une autre surtout dans des milieux aussi diversifiés que ceux que fréquentent les poissons migrateurs comme l’anguille. 

Ainsi , les pêcheurs marins, estuariens et continentaux ont accumulé sur ces écosystèmes et sur le comportement de ces poissons migrateurs un large corpus d’observations, de connaissances et de savoirs.

 Sans leurs participations, de nombreux projets de recherche n’auraient pu se faire pour évaluer sur de grands fleuves, l’importance de populations de migrateurs dont l’anguille: Adour, Dordogne et Loire (estimation des flux de civelles) ; Loire (estimation des flux d’anguilles argentées) dans le cadre du programme Européen INDICANG (Indicateurs de colonisation de l’anguille dans la partie centrale de son aire de répartition) ou bien d’opérations de marquages dans le cadre du projet européen EELIAD (European Eels in the Atlantic: Assessment of their Decline). 

Ainsi ces savoirs doivent être utilisés pour veiller, pour aider à la gestion (leurs observations et déclarations sont délaissées dans la gestion de cette espèce), pour évaluer la fragilité économique de cette filière (intégration des connaissances de la filière) et effectuer les futurs transferts de population nécessaires à une meilleure utilisation des habitats potentiels de l’espèce dans un contexte de raréfaction des ressources en eau et d’entrave à la continuité écologique de ses habitats fonctionnels comme cela se pratique chaque année sous la coordination de l’association ARA France. https://repeuplementanguille.fr/

 

Lanceurs d'alerte et veille environnementale: quelques exemples parmi tant d'autres.

Les marins pêcheurs et pêcheurs professionnels fluviaux auxquels appartiennent nos adhérents ont une longue expérience en matière d’observations et de lancement d’alerte pour ce qui concerne l’évolution de nos environnements aquatiques et des espèces qu’ils hébergent. 

Dès 1984, alors que les instances de la pêche de loisir et nos gestionnaires considéraient l’anguille comme une espèce nuisible dans les eaux de première catégorie (eaux salmonicoles) et l’accusant de tous les maux dont celui de se nourrir des juvéniles de saumons, les pêcheurs professionnels tirent la sonnette d’alarme avec un groupe de scientifiques en attirant l’attention des pouvoirs publics sur la diminution de la ressource anguille et la destruction de ses habitats.

Ce rôle de lanceurs d’alerte ne s’est pas arrêté à l’anguille. De manière plus globale, les pêcheurs professionnels ont dénoncé dans le cadre du World Fish Migration Day en 2020 et du Congrès Mondial de l’UICN en 2021, la vision trop sectorielle de la gestion de nos poissons migrateurs qui, jusqu’à présent, n’a mené à rien lorsque la dégradation de l’habitat n’est pas prise en compte. Le saumon de Loire, l’alose de Gironde ou de l’Adour en sont des exemples édifiants et la solution bien commode de contraindre la pêche sans remédier à la restauration des habitats montre toutes ses limites environnementale, sociale et économique.

Enfin, ces dernières années avec la mise en oeuvre de programmes de recherche sur la prolifération du silure glane, les pêcheurs professionnels alertent sur le danger de déséquilibre biologique et de mise en péril de ces espèces migratrices: alose, saumon, truite de mer, lamproie marine, anguille dont ces poissons sont friands.

Participation à la reconstitution des populations d’esturgeons européens dans le bassin de la Gironde. De 2007 à 2015, plus de 1,8 millions de jeunes esturgeons produits en pisciculture ont été relâchés et les pêcheurs participent dans le cadre de leurs activités à la collecte des observations sur leur croissance et leurs dispersions dans le milieu naturel.

Participation  à l’évaluation de l’échappement des anguilles argentées sur le bassin de La Loire par la mise en oeuvre de pêcheries séquentielles aux guideaux ; participation aux campagnes de marquages de l’anguille en Loire et en Méditerranée pour observer le comportement migratoire des anguilles argentées vers la mer des Sargasses; mise en place du programme de repeuplement en anguille en France coordonnée par ARA France: association regroupant les deux entités professionnelles de la pêche : CNPMEM et CONAPPED ; éditions de guides de bonnes pratiques sur la mise en oeuvre du repeuplement et sur la pêche de la civelle afin de minimiser la mortalité après pêche.

Participation à l’étude du comportement du saumon atlantique dans le bassin de l’Adour et des Gaves afin de mieux adapter la réglementation de la pêche pour minimiser l’impact des filets en estuaire sur cette population.

Cette liste ne constituant qu’un aperçu de la diversité des actions entreprises sur la veille environnementale et la coopération avec les scientifiques.